Strict
art [Article à continuer]
Depuis 2008, conjointement aux différents ouvrages d’éditeurs majeurs
américains et européens, puis, dans leurs éditions françaises, dès 2010, comme :
Trespass : une histoire de l’art
urbain illicite édité par Phaïdon,
L’art urbain : Du graffiti au street art par Gallimard, et
Street art et graffiti édité par Thames&Hudson, nous assistons sous nos yeux à une relecture par raccourcis du
XXe siècle artistique. De la prise en compte de certaines pratiques des années
2000 à 2010, à la visible et très consciente construction intellectuelle qui
prend en charge notre réception critique.
La décennie se réfléchie et c’est bien normal. Mais regardons comment ouvrages
papiers, sites culturels et autres médias, recensent assidument les productions
et expressions de l’espace urbain mondialisé et tentent de les comprendre en
tant que pratique artistique directement et absolument liée à l’histoire de
l’art. Se propage alors le terme ‘Street art’ comme nous connaissons le Pop
art, le Land Art, l’Op art, .... Dans les musées français, il est donc
maintenant d’usage d’assister à des programmations de conférences qui se fondent
sur les peintures murales des grottes préhistoriques et qui se concluent sur
les propositions de Banksy, le tout dans une logique historiée, renseignée, ré-écrivant
des liens d’évidence et validant toutes présences graphiques. De Brassaï à Jean-Michel
Basquiat, puis de Gordon Matta-Clark à Rero, d’Andy Warhol à Shepard Fairey. Ils
s’ouvrent, à Londres comme à Paris, florissantes expositions sur l’art urbain,
dans les mêmes espaces que ceux du marché de l’art contemporain. Échanges de
bons territoires. Le constat est la diffusion de l’idée d’un art urbain occupant
la scène artistique mondiale et se promotionnant dans les médias les plus
fréquentés.
Mainstream.
Les productions relevant d’une pratique dite urbaine étaient déjà
présentes dans nos paysages bien avant les années 2000. Certains travaillent
depuis les premiers instants à la reconnaissance et à la diffusion d’une culture
artistique qui s’origine à partir par exemple du riding, du surfing, du biking
et bien sûr du skating, et qui se formalise dans une mode, un graphisme, une
musique …Aux Etats-Unis, ces pratiques sont désignées comme alternatives, phénomènes de la contre-culture et se
révèlent à la fin des années 70, début des années 80. De retour dans les années 90, le street
skating se pratique comme l’inscription de l’individu navigant par ses propres
règles, face à la construction globale. Ces pratiques se déroulent à la fois
dans l’espace public et à la fois de façon plutôt retirée, inattendue dans des
lieux inoccupés ou désaffectés. Et justement comme le signal lancé au système
global d’être « à côté ».
Regardons comment dans un premier temps, l’on associe une pratique
alternative, éphémère et volontairement réalisée ‘à côté/non cotée’, née
sur les parois des murs et des flancs des métros new-yorkais au début des
années 70, à une pratique artistique. Puis, quelques années plus tard, on l’a
retrouve mise en capital et en galerie, le tout pour servir un marché d’intérêt
privé. Ce qui a été crée en dehors et contre l’art ‘officiel’ se retrouve à
présent convoqué comme articulation et chainon manquant de l’histoire de l’art.
De la confusion. Est désignée
actuellement « Street art » une toute nouvelle génération
d’altermondialistes.
Est-ce un processus inexorable ?
Ce qui tend à fuir un système se retrouve forcément ré-englobé. Oui,
être contre revient toujours à inclure le référent à fuir. Oui, tant que le
principe de création n’est pas réellement ailleurs.
L’action intuitive devient objet matériel, qui avec le temps se
fétichise : 2012, il est possible d’acheter la porte graffitée du studio
de Keith Haring ou une veste en cuir qu’il avait signée au marqueur. Dérives
déjà connues, relevant du marché, mais à la fois comme épiphénomènes pour
l’histoire de l’art …
Se retrouvent alors rassemblés au même titre, des œuvres matériellement
et esthétiquement très différentes, des artistes/auteurs qui n’agissent pas
pour les mêmes raisons, avec des protocoles et des mises en œuvre parfois
strictement opposés. Ce qui porte à confusion est ce mélange des genres qui impose
la corrélation formelle simplifiée entre des objets qui ne se rencontrent pas.
L’idée de street art, telle qu’elle est présentée, convoque ouvertement
la pluralité des moyens, des techniques et des ambitions. Des signatures
d’anonymes (ou dans un premier temps confidentielles) se diluent dans l’espace
public, quelles soient graphiques, photographiques, sérigraphiques, sculpturales
ou performatives, réalisées spontanément ou préparées en atelier.
De la nouvelle « peinture » de plein air en somme. Pour
signifier une double inadéquation : celle d’un bâti déshumanisant et celle
d’un art sans convention ni promotion bourgeoise. Mais n’y a t-il pas
méconnaissance et caricature de ce que peut être l’art de la part des artistes
dits « urbains » ? Ainsi ne pas confondre l’objet de l’art avec
sa médiatisation (ou ce qui se transforme sous l’influence des politiques culturelles
officielles) Parce que la construction de pensée à l’intérieur de l’oeuvre d’un
artiste qui mène sa recherche n’a rien à voir avec la projection que l’on s’en
fait lorsque l’on est complètement nourris et gavés par les volontés de
médiations de l’art organisées dans les institutions. Ne pas se tromper
d’objet.
L’art est une représentation de la réalité, son objet est forcément un
objet intellectuel. Il agit comme le fait un symbole et que nous sommes amenés
à déchiffrer, et ce, dans la même continuité de notre propre découverte du
monde et de sa réalité. Nous ne connaissons notre monde que parce que nous
apprenons et que nous décodons, nous ne faisons que découvrir notre monde. La
vision de l’objet ne nous permet pas une immédiate reconnaissance parce qu’il
est travaillé (et pas forcément travaillé dans son sens matériel). Il est plus
ou moins ardu, il s’apprivoise et se redécouvre sans cesse au fur et à mesure
du temps qui passe, de génération en génération.
Alors ce qui apparaît aujourd’hui autour des arts urbains est aussi la
volonté politique et culturelle du moment. Si cet art advient aujourd’hui aussi
en France, c’est qu’il existe aussi une volonté plus générale de marier des
territoires, de valoriser et de moraliser des actions et de rendre valide et
probant le travail social et éducatif mené dans les villes depuis 40 ans. Un
travail des politiques pour résister et apaiser la violence de quelques
individualités vues comme les brebis égarées du système et pour faire acte
d’intégration. Approuver et mettre en lumière
des créations graphiques et penser à une forme de « reliance »,
d’apaisement et de dialogue social.
C’est comme se glorifier de voir, ceux qui s’écriaient et lançaient des
pierres, s’occuper désormais à dessiner et à parer les murs des bâtiments déchus…se
conformer et accepter le compromis, ou
autrement dit : « Comme accorder un atelier municipal à Miss Tick
parcequ’on ne lui permet pas d’altérer les murs du centre ville ? » De
l’intégration…
Le prélèvement du passé pour construire et valider un mouvement
artistique se pratique allègrement. « Dans la lignée de Buren ou de
Christo, le travail de JR questionne la limite de la ville. »[1] Pourquoi
regarder les divergences lorsqu’une idée toute simple et positive réunit si
bien ?
La reconnaissance artistique n’est pas moralement condamnable, et pour
un artiste être une valeur marchande est une conséquence parmi d’autres. Être
issu d’un milieu populaire n’interdit pas l’artiste de se frotter à la
communauté scientifique et intellectuelle, surtout s’il souhaite s’en
soustraire consciemment et volontairement. Il importe ensuite pour l’historien
d’art de regarder et de conserver les objets pour ce qu’ils apportent, ce
qu’ils interrogent et mettent en jeu. Cependant
l’on peut se demander qui fabrique cet art urbain, pour quelle
destination ; et en même temps qui l’achète et le promotionne. Un peu
comme l’on achète de l’art contemporain pour être à la mode, acheter un artiste
urbain passe pour le dernier délice d’initiés. Penser que l’art urbain n’est
pas à but lucratif est de la désinformation et, que les acheteurs et les
acteurs de l’art contemporain ne s’ébahissent que devant des œuvres de la
masturbation intellectuelle, d’une grande naïveté. Tentons d’évacuer les
caricatures.
Évidemment, toute pratique, comme toute personne, peut se transformer,
renoncer aux premières directions, réactiver d’anciennes pensées, enlever de sa
substance ou ajouter des éléments extérieurs, pour toujours remettre en
question sa consistance et sa pertinence. Les acteurs changent, les nouvelles
générations apportent leurs contradictions qui reconditionnent les actes
premiers. Et il serait facile de dénoncer l’opportunisme, la récupération
avide, la malhonnêteté intellectuelle. L’histoire se construit aussi en différé
et, est question d’interprétation. Si les théoriciens et critiques n’avaient
pas mis à jour l’œuvre de Marcel Duchamp (1887-1968) dès 1973, avec
l’exposition rétrospective de son travail au Musée de Philadelphie et
au Musée d'art moderne de New York), le paysage artistique
ne serait pas le même. Il est nécessaire d’écrire sur l’art, de l’interpréter,
de le lire et de le relire, de le reconstruire, pour qu’il prenne une plus
grande place ou au plus juste.
Pourtant quel est cet objet auquel ces écrits, ces conférences et ces
expositions se rapportent et auquel les médias veulent faire la place ?
Qu’en est-il de cette esthétique altermondialiste, de ces figures
humaines représentées sur des maxi-formats, de ces signatures faites
d’accumulations colorées qui re-décorent les places et les bâtiments des centres-villes ?
À l’heure du partage et de l’échange gratuit sur les réseaux sociaux,
les revendications esthétiques, et donc politiques, qui autrefois animaient les
créateurs, ont été remplacées par le prétexte d’un immense concours
photographique. En 2012, à Rio, à Berlin, à Beyrouth, il est possible de
trouver ces interventions comme prêtes à être capturées et comme dans une
surenchère, il s’invente des points de vues spectaculaires. Les ouvrages du
street art parlent d’un phénomène mondial et des Globe painters.
Mélanger, comme dans les ouvrages grand public, le territoire
alternatif de la culture urbaine avec les artistes phares de l’histoire de
l’art qui opèrent sur d’autres territoires c’est d’emblée ne pas s’assurer de
la grande qualité des réflexions critiques mais d’une diffusion majeure et
d’une promotion pour le plus grand nombre.
La reconnaissance du public est
intéressante et tout à fait valorisante pour un artiste mais elle se
contente trop souvent d’être une affaire de goût. Non pas que la subjectivité
altère à la réception de l’objet d’art mais elle le soumet aux courants, aux
flux de la mode et du goût, façonnés et manipulés par des entités au fort
pouvoir économique.
Le graphisme de rue est distrayant certes. Il ressemble au commentaire malin
que l’on a sous la langue. Il se vit plutôt bien dans nos villes, il est
demandé sous les préaux des écoles, nous le retrouvons sur les murs des
chambres, et il est complètement assimilé et acclimaté. Et à la fois, il en
ressort totalement désengagé, et seulement relevant d’une forme de prouesse
technique, qualité très classique au demeurant, convenue comme seul critère d’appréciation
d’un art de tradition…
[Article à continuer...]